Je suis une bimbo...
... m'a-t-elle dit en se presentant.
Ca m'a relativement marque, du coup je n'ai absolument pas retenu son prenom.
Elle est habillee comme une gamine, mais semble avoir la quarantaine et tout en marchant jusqu'a son appartement, elle me parle sans discontinuer comme si j'etais bilingue. Je lui ai pourtant dit que je ne comprenais sa langue que tres approximativement, ca ne l'a pas fait tilter.
Je decouvre sa petite vie en passant difficilement le seuil de sa porte, encombre par une impressionnante collection de paires de chaussures multicolores. Dans la cuisine, il y a des references un peu partout, qui temoignent de son mariage ephemere avec un italien. Une banderolle forza italia, une carte des sites touristiques du pays, un calendrier chretien et quelques babioles-souvenirs sont accroches au mur.
En entrant dans la petite chambre attenante, j'ai la sensation etrange de faire un saut dans le temps. Il faut dire que j'ai vu le meme type de decoration chez les copines a ma soeur, quand elles etaient en sixieme... Posters de footballers en sueur, peluches envahissantes sur le lit et les etageres, figurines et bibelots kitsch made in China, le Japon semble bien loin et un certain sens des realites, tout autant.
Elle a 34 ans _et bien qu'ayant etiree son enfance jusque la_ en parait facilement 10 de plus.
Pendant la seance de pose, elle se devoile sans gene apres avoir feint la timidite et me parle rapidement de tampons, de son pubis rase, de la taille de son vagin et de tous ces hommes qui l'ont deja frequente... Sa facon d'exposer sa sexualite est crue, denuee d'affect, voire deplaisante. Je l'ecoute avec curiosite tout en gardant mes distances.
Son corps est degrade, vieilli prematurement et quand elle me demande si j'aime le regarder, je laisse hypocritement repondre l'artiste. En tant que modele, elle est parfaite.
Il est bientot question de ses seins. Elle me demande a plusieurs reprises de les dessiner plus gros qu'ils ne le sont en realite. Ca n'a evidemment strictement aucun interet a mes yeux, ses priorites et les miennes ne se situent pas sur le meme plan esthetique.
Lors du troisieme croquis, se sentant plutot a l'aise, elle commence a se tortiller, ahanne quelques sons guturaux puis finit par m'annoncer qu'elle est tres excitee. Un filet humide s'ecoule de son sexe. Ce pourrait etre beau, excitant, tentant... Mais je ne ressens en elle ni fantaisie, ni joie. Seul le vide de son existence est palpable. Je repense a cette phrase si souvent lue ou entendue: "La chair est triste". Ce soir la, je veux bien croire qu'elle le soit, oui.
Cette fois-ci encore, je passe a cote de mon sujet. L'erotisme m'echappe.
A la fin de la seance de pose, se rhabillant, elle me montre la photo d'une jeune fille tres belle et me dit que c'est elle quand elle avait 12 ans. Je ne peux pas croire qu'il s'agisse de la meme personne. Il emane tant de delicatesse et de feminite de cette image, tant de sensualite. Comment peut-on changer a ce point? Les qualites peuvent-elles litteralement s'evaporer avec le temps comme l'eau d'une riviere en plein ete?